La rencontre sauvage
La première fois où je découvris Enrique Ponce, en cette matinée du 30 mai 2004, fût un moment de grâce, au deux sens du terme. En effet, à la suite d’une impressionnante série de passes et la multiplication d’enchaînements impeccables, il obtint que son adversaire, le taureau de combat Anheloso, fût épargné.
Comme après un choc ou un charme, je cherchais longtemps à comprendre l’origine de cette maîtrise accomplie.
Puis, un jour de mai 2007, alors que j’étais au bord de la piste, l’évidence s’imposa. Entendant distinctement, le dialogue entre la voix du matador et les mugissements du taureau, j’eus le sentiment que l’art de Ponce était d’abord celui du souffle créant un rythme partagé avec la bête, rythme qui, dès lors, instaure un ordre à partir du chaos initial, qu’est la force brute de l’animal.
Aussi, Ponce ne livre pas combat, mais pratique plutôt l’art de la composition. Il affronte l’adversaire non pour le défaire ou le désorganiser. Bien au contraire, il le rencontre pour additionner ses forces à celles qu’il lui oppose, afin d’engendrer un champ de forces supérieur.
L’élégance et le purisme de Ponce ne sont donc nullement un évitement ou une esquive. Ils sont le gage d’une rencontre véritable avec la violence du taureau pour en retirer une forme supérieure, plus équilibrée et harmonieuse ; c’est une rencontre sauvage qui mène à la beauté.
De cette rencontre naît l’émotion du spectateur qui, à chaque instant, sait que l’art peut basculer en drame, que le taureau peut échapper au jeu de composition pour attaquer sa proie. Cette tension permanente fait de la corrida un spectacle symbolique qui renvoie l’Homme à son destin, celui d’être un mortel qui, dans l’adversité, doit construire sa vie.
Alors que la sphère médiatique tend à nous isoler dans un environnement où tout nous est familier, nous berce et nous réconforte comme une mère, la corrida est l’une de ces rares expériences qui unit ce que l’on a l’habitude de séparer : l’homme/la nature, l’esprit/la bête, la vie/la mort… La réconciliation de ces opposés, même provisoire, suscite chez le spectateur le sentiment d’une forme d’accomplissement.
Et il arrive que cette plénitude approche de l’extase comme quand, en ce 30 mai 2004, la rencontre devient échange, inversion des rôles. Dès lors, un bestiaire fantastique se déploie, l’homme devient taureau, la bête devient humaine, un minotaure apparaît sur la piste, jouant avec lui-même, jouant avec nous-même, le jeu de la vie.
Olivier Lange |
Ponce ne livre pas combat, mais pratique plutôt l’art de la composition. |
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